dimanche 9 décembre 2018

La Constitution de la République des Intérêts-Unis


La Constitution de la République des Intérêts-Unis expliquée à Maurice par l’académicien Atout.
[Extraits de Le monde tel qu’il sera (en l’an 3000) par Emile Souvestre, publié en 1846]

« Nous avons déjà dit comment cette méthode avait réussi à M. Atout, qui occupait la plus haute position littéraire des Intérêts-Unis sans rien écrire, et tenait le premier rang parmi les professeurs sans rien professer. Aussi était-il bien résolu à persévérer dans une voie qui lui permettait d’arriver sans marcher. Il se hâta donc d’achever sa correspondance habituelle, puis, se rappelant son hôte, il monta à son appartement.

Il le trouva un livre à la main, et se pencha pour voir le titre :
— Que tenez-vous là, dit-il, les fastes de la Convention française ?
— Oui, répondit Maurice, je relisais l’histoire de ces stoïques audacieux dont les moindres mouraient comme Socrate. Je comptais les sacrifices muets de ce peuple de Decius, et je trouvais le secret de tant de simplicité et de grandeur dans un seul mot : la foi !
L’académicien hocha la tête.
— En effet, dit-il d’un air capable, c’était alors le puissant mobile, l’âme immortelle du corps social ; mais le temps a éclairé les hommes ; nous avons perfectionné le patriotisme, et nous l’avons rendu plus facile. Votre moteur ressemblait à la vapeur, puissance irrésistible, mais difficile à conduire ; les explosions amenaient toujours quelques désastres ; aussi lui avons-nous substitué une force plus aimable, plus docile, et non moins irrésistible.
— Vous la nommez ?
— L’intérêt. Notre constitution a été si heureusement combinée, que les devoirs du citoyen se sont trouvés réduits à l’obligation de rechercher en tout son propre avantage. Votre gouvernement constitutionnel contenait, du reste, les germes de cette merveilleuse réforme ; germes cachés, souterrains, honteux, que nous avons habilement arrosés de légalité pour les développer et leur donner place au soleil. Aussi, aujourd’hui, le système politique des Intérêts-Unis répond-il à tous les besoins de l’homme vraiment civilisé.
Il se compose de quatre pouvoirs qui résument les principes sociaux de l’époque. (…)…


Le quatrième pouvoir, enfin, est composé des banquiers qui se sont faits les intendants de la république, lui prêtent à la petite semaine, et se chargent de passer les revenus publics par un crible qui ne laisse tomber que les petites pièces et retient toutes les grosses. L’État a insensiblement mis en gage entre leurs mains la terre, les fleuves, les mers, les mines souterraines et les transports aériens ; si bien qu’ils seraient les maîtres de tout, si le fauteuil et les deux chambres n’étaient là ; mais leur pouvoir entrave celui des banquiers, qui, à son tour, entrave le leur. Car là est le sublime de notre organisation politique : tout se compense et se pondère. Le char de l’État ressemble exactement à celui que l’on a découvert sur les débris de l’arc de triomphe du Carrousel, à Paris ; tiré en sens inverse par quatre chevaux de forces égales, il reste nécessairement en place, ce qui l’empêche de se heurter aux bornes ou de tomber dans les ornières.
— Mais non d’être écartelé, dit Maurice ; et, tôt ou tard, le char se disloquera.
— Si nous n’avions pas une cheville magique qui consolide tout, fit observer l’académicien.
— Et quelle est-elle ?
— La peur ! Autrefois, on mettait de la passion dans la politique, mais aujourd’hui le progrès des lumières a fait disparaître ces hommes de petite vertu qui tenaient à leurs idées et qui voulaient, à tout prix, le triomphe de ce qu’ils regardaient comme la vérité ! On ne croit pas plus à ce que l’on défend qu’à ce qu’on attaque. Les opinions sont des logements à loyer dont on déménage dès qu’on en trouve un meilleur. Aussi les luttes ont-elles plus d’apparence que de réalité : on se combat comme au théâtre, en ayant soin de ne pas se blesser, et seulement pour occuper la galerie. Nul ne porte de coups dangereux, de peur d’en recevoir ; les adversaires d’aujourd’hui seront nos alliés de demain ; la cocarde que nous sifflons, celle que nous porterons à notre chapeau ; cette prévision tient lieu d’indulgence, et si chacun tire d’un côté différent, c’est avec la modération d’un coursier de fiacre payé à l’heure.
— Alors, je comprends, dit Maurice ; vous êtes à l’abri des fièvres politiques, mais qui vous sauvera de l’indifférence ?
— Toujours la constitution, répondit M. Atout. Croyez-vous que nous en soyons au temps où l’on demandait aux électeurs de payer leurs députés ? Nous avons compris ce qu’une pareille prétention avait de décourageant pour le zèle électoral, et nous l’avons retournée. Aujourd’hui, c’est le député qui paye l’électeur ! Chaque nomination est soumise à la criée publique, les candidats présentent leurs soumissions, et la place reste au dernier enchérisseur. De cette manière, plus de pièges, plus d’intrigues ; chacun débat ses conditions et sait ce qu’il a. Aussi faut-il voir l’empressement des électeurs ! quelques-uns se sont fait porter mourants jusqu’aux urnes du scrutin pour déposer leurs votes et en recevoir le prix. Grand exemple de l’énergie de cette vie politique qu’entretiennent des institutions fondées sur le seul principe vraiment social, le dévouement à soi-même ».

PCC

   Un correspondant nous écrit : « Dans les organisations quelle que soit leur nature (entreprises privées ou publiques, administrations...